Le recours aux cabinets de conseil par l’État est un sujet qui fait polémique depuis plusieurs mois.
La question a surgi auprès du grand public en 2021 lorsqu’a été mis en lumière le rôle joué de plusieurs cabinets de conseil dans la gestion de la pandémie de la Covid-19. Depuis, plusieurs articles et dossiers de presse ont dénoncé le rôle des cabinets de conseil auprès des entités étatiques, qui serait devenu trop important ces dernières années. Selon ces articles, ces entreprises privées de conseil sont devenues « indispensables » pour l’État.
Dans ce cadre, la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblée Nationale a publié le 19 janvier 2022 un rapport d’information sur les différentes missions confiées par l’administration de l’État à des prestataires extérieurs. Le Sénat a, quant à lui ,constitué une commission qui a enquêté pendant quatre mois sur l’influence des cabinets de conseil sur les politiques publiques. La commission d’enquête a déposé le 16 mars 2022 un rapport qui désigne le recours aux cabinets de conseil comme « phénomène tentaculaire » au sein de l’État.
Alors, qu’en-est-il réellement ? La relation entre l’État et les cabinets de conseil est-elle une vraie ou fausse polémique ?
Pourquoi les pouvoirs publics font appel aux cabinets de conseil ?
Sénateurs, journalistes et observateurs du grand public se sont naturellement interrogés sur ce qui pouvait justifier l’intervention des cabinets de conseil auprès d’institutions étatiques.
L’une des raisons pour lesquelles les clients, institutionnels ou autres, font appel aux cabinets de conseil est leur capacité à mobiliser très rapidement des consultants lorsqu’un besoin se présente.
Outre leur réactivité, les cabinets de conseil sont avant tout sollicités pour l’expertise technique de leurs consultants. Ceux-ci sont généralement des spécialistes du domaine dans lequel ils interviennent. Il s’agit le plus souvent de compétences dont l’administration ne dispose pas en interne pour diverses raisons (budget, ponctualité du besoin …) et qu’elle va donc extérioriser et confier à des cabinets de conseil dans le cadre d’une mission pour une période déterminée.
Confier une mission à un cabinet de conseil permet, par ailleurs, d’apporter un regard neuf sur une organisation, une méthode de travail, un outil. Les cabinets de conseil peuvent être en mesure, par exemple, d’effectuer des benchmarks qui permettront à l’organisation de se mesurer et se situer par rapport aux pratiques d’autres régions, pays ou secteurs selon les cas.
Quelles sont les missions des cabinets de conseil ?
Les missions des conseils ont toujours une durée limitée. Il s’agit de missions ponctuelles pour répondre à une question spécifique.
En pratique, le rôle des consultants des cabinets de conseil sera d’effectuer une analyse sur une thématique donnée et de proposer ensuite des solutions. Il s’agit d’un rôle de conseiller, de guide et le consultant n’a pas pour mission de prendre des décisions à la place des instances étatiques qui le mandatent mais d’apporter les éléments pour aider à la prise de décision.
Les consultants peuvent aussi avoir pour rôle de développer un outil dont le client ne dispose pas encore en interne ou d’accompagner le client dans la mise en œuvre d’une solution qu’il aura choisi.
Les domaines des missions de conseil sont extrêmement divers. Il existe toutefois des activités des secteurs dans lesquels il est fréquent pour les clients de se faire accompagner par un cabinet de conseil.
L’un des domaines où les cabinets de conseil sont presque systématiquement sollicités, est celui de la transformation. Il s’agit de situations dans lesquelles une organisation veut modifier en profondeur son fonctionnement. Dans ces cas, le cabinet de conseil va étudier le fonctionnement en place, proposer des changements et éventuellement aider à les mettre en œuvre. Il est rare qu’une organisation soit en mesure de mener un tel travail en ayant recours uniquement aux ressources en interne.
Certains des secteurs d’intervention habituels des cabinets de conseil sont :
- L’ informatique : le cabinet de conseil peut avoir pour rôle de créer ou d’améliorer un nouvel outil informatique.
- Le management : le consultant aura pour mission d’accompagner l’organisation pour transformer les pratiques managériales.
- La stratégie : il s’agit d’aider l’organisation à envisager ses objectifs et sa stratégie à long terme ainsi que les outils et étapes pour y parvenir.
- La sécurité des systèmes d’information.
Experts dans leur domaine, les consultants peuvent être amenés à conseiller tout type d’organisation, dans tout type de secteur. En ce qui concerne l’État, Selon le rapport du Sénat, pour l’année 2021, l’essentiel des dépenses de conseil les plus stratégiques, y compris informatiques, est réparti entre cinq ministères : l’Intérieur, les ministères financiers, les Armées, le ministère de la transition écologique et les ministères sociaux.
Source : rapport du Sénat
Qui confie les missions aux cabinets de conseil effectuant des missions pour l’État ?
Les personnes publiques qui font appel à un prestataire pour répondre à un besoin sont soumises aux règles de la commande publique qui doivent garantir, notamment, la transparence des procédures d’attribution. Les missions confiées aux cabinets de conseil par les ministères n’échappent pas à cette règle. Dans la majorité des cas, l’administration concernée doit donc publier un appel d’offres par lequel les cabinets de conseils sont invités à candidater. Le choix du cabinet de conseil sélectionné pour effectuer la mission doit se faire sur la base de critères prédéfinis et objectifs. Cette procédure doit conduire les ministères à choisir le cabinet ayant fait la meilleure offre au meilleur prix.
Pourquoi l’intervention des cabinets de conseils fait polémique ?
Le coût
Ce qui est dénoncé en premier lieu, c’est le coût que représentent les missions de conseil pour l’État. Selon le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, l’État aurait dépensé près d’1 milliard d’euros pour des missions de conseil en 2021. Une journée de consultant coûte en moyenne 1 528 euros à l’État. Dans son rapport, la commission d’enquête souligne également que les dépenses de conseil ont plus que doublé entre 2018 et 2021, avec une forte accélération lors de l’exercice 2021 (+ 45 %).
L’encadrement déontologique
Une autre source de polémique réside dans un encadrement déontologique qui serait insuffisant. Ce qui est particulièrement pointé du doigt est le risque de conflit d’intérêt lorsque les cabinets conseillent plusieurs clients. Par ailleurs, avant le début de la polémique, l’intervention des cabinets de conseils se faisaient dans une relative discrétion et certaines voix se sont élevées pour réclamer davantage de transparence sur le rôle des cabinets de conseil.
Le risque d’influence sur les politiques publiques
Un autre sujet majeur qui fait débat est le risque que les cabinets de conseil se retrouvent, via leurs missions au sein de l’État, en mesure d’influencer les politiques publiques en orientant la prise de décisions.
Enfin, certains dénoncent le fait que le recours aux cabinets de conseil servirait parfois à combler un déficit lorsque l’État n’a pas le personnel en interne et non à répondre à une question ponctuelle. A titre d’exemple, l’État manque de développeurs et de chefs de projets numériques ce qui peut expliquer qu’il fasse appel à des consultants extérieurs dans ces domaines (source: Le Monde).
Qui sont les principaux cabinets de conseil ?
La plupart des grands cabinets de conseil sont anglo-saxons. Les cabinets considérés comme les plus prestigieux, les « Big Three », sont des cabinets des États-Unis : McKinsey & Company, Boston Consulting Group et Bain & Company.
Parmi les autres cabinets connus figurent Accenture, Capgemini, Eurogroup, EY, Deloitte, PwC, Roland Berger etc.
Il existe également plusieurs petits cabinets spécialisés dans certaines missions, dont l’évaluation des politiques publiques, et qui interviennent aussi bien au niveau national que local.
Perspective avec l’étranger et le secteur privé
En comparaison avec l’Allemagne et le Royaume-Uni, le conseil au secteur public apparaît beaucoup moins développé en France. Le chiffre d’affaires réalisé par les cabinets de conseil s’élevait à 657 millions d’euros en 2018 contre, par exemple, 3 143 millions d’euros en Allemagne et 2 640 millions d’euros au Royaume-Uni (source : rapport du Sénat). En outre, le montant d’achat de prestations de conseil dans le secteur public rapporté aux dépenses de personnel en France demeure l’un des plus faibles de l’Union européenne (source : rapport de l’Assemblée Nationale).
Cet écart s’expliquerait notamment par une différence de culture administrative, la France ayant beaucoup de fonctionnaires.
Pour la majorité des trente principaux cabinets, les clients du secteur public et parapublic représenteraient entre 2018 et 2020 moins du tiers de leur chiffre d’affaires. Il s’agit donc d’une part limitée de leur activité. Il existe toutefois plusieurs cabinets spécialisés dans le conseil au secteur public.
Les suites de la polémique
Dans une circulaire du 19 janvier 2022 (relative à l’encadrement au recours par les administrations et les établissements publics aux prestations intellectuelles), le Premier ministre appelait à une nouvelle politique de recours aux prestations de conseil et affichait un objectif de réduction des dépenses de 15 % pour le conseil en stratégie et en organisation en 2022.
Fin juillet, le ministre de la Transformation et de la fonction publiques a annoncé à l’AFP que les missions confiées par l’État aux cabinets de conseil seront plafonnées à 2 millions d’euros par projet.
Les mesures en ce sens n’ont pas encore été adoptées et donneront certainement lieu à de nouvelles discussions. Plus d’un an après le début de la polémique, le débat sur l’État et les cabinets de conseil n’a pas perdu son actualité.